De nouveau à la Butte de l'Edmond.
Albert Hénault est à la 18ème Compagnie. Il retrouve les tranchées.
Samedi
11 nov. – Quels préparatifs, cantines, colis, paquets ; ça n’en finit
plus, il est onze heures. Nous n’avons aucun ordre du D.D. [Dépôt
Divisionnaire], le colonel du 267 se demande déjà pourquoi nous ne sommes pas
déjà arrivés. C’est bien l’armée. Enfin !
Nous voici à 2 heures à Romain. 4
heures pour le ravitaillement. Nous rendons visite au Colonel à 7 heures du
soir. Réception agréable peut-être, et nous voici arpentant nos boyaux pour
notre nouvelle affectation.
Santerre
affecté à la 17e, moi à la 18e, Bonafoux à la 20e
et Girier à
l’État-major du 6e Bataillon. A 8 heures, je suis à la butte de l’Edmond, à l’endroit même que j’ai
quitté le 7 juillet partant pour Père. Bizarrerie du sort !
Je dîne avec le Commandant qui m’invite et est très gentil, puis
re-départ pour ma nouvelle compagnie.
Dimanche 12 novembre – Lever à 8 heures. Je n’ai pas eu chaud
aux pieds, aussi me suis-je levé assez souvent. J’ai fait déjà tout le tour
dans les boyaux, pour connaître le secteur. Ce n’est plus le dépôt, enfin,
c’est la guerre.
Lundi 13 novembre – Une nuit de passée, quart de minuit à 4
heures, nous avons reçu ordre de tirer beaucoup.
Ce que nous avons fait. Les boches ont répondu, du tac au
tac : un coup de fusil, réponse de leur part : au moins deux coups de
feu.
Aucun écrit du 14 et le 30 novembre (semble
avoir eu une permission).
1er décembre 1916 – Quelques lacunes vont exister,
forcément – le cafard étant tellement fort qu’il faut absolument tout le
courage, toute l’énergie d’un poilu à 3 brisques* pour résister. A
présent que les nerfs sont un peu d’aplomb, que les souvenirs de permissions
sont moins vifs, je vais continuer ces mémoires.
* NOTA : 3 brisques = 3 chevrons, soit deux ans "Aux Armées", c'est-à-dire au front, la première brisque compte pour un an, les suivantes comptent pour six mois.
Me voici, maintenant très peu loin de l’endroit où le brave
capitaine de Bizemont
est tombé à mes côtés, chaque jour, j’y passe. Je revis en mémoire ces courts
instants, logiques entre tous. J’ai refait l’autre jour le voyage de la Sapinière à Pontavert.
Comme c’est changé ! Quel calme en comparaison du 10 mars. Les haies de
bruyère, des gabions, des routes, le petit tortillard réparé ! Ce n’est
plus le Pontavert du temps de guerre. De braves
territoriaux s’y baladent ; tout juste s’il n’y a pas de civils !
Aujourd’hui quelque marmitage. Nous avons voulu faire des tirs
de repérage. Les boches nous ont cognés dessus, sans mal heureusement. Un peu
plus, c’étaient nous-mêmes qui nous suicidions. Les 75, trop courts, ont arrosé
mon petit poste. Heureusement que les sentinelles n’étaient pas placées.
2
décembre – Un exercice d’alerte est dans l’air. Préparation d’un coup de
main ; quelle fumisterie ! On dirait qu’il y a trop de fantassins en
ligne ! Il est vrai que les officiers supérieurs ont besoin de médailles
ou d’honneurs, il faut bien que les poilus les leur gagnent. C’est leur raison
d’être à eux. Pourquoi serait-on attaché à un bataillon ou à une brigade si
nous n’avions pas d’ordres par ailleurs à donner. Les poilus iront
visiter les boches et ces messieurs seront au téléphone !
« allo ! allo ! Le coup de main, réussi ? Pas de
prisonniers boches ? Tant pis ! 2 blessés, 1 tué, dame, c’est la guerre !
Ce sont les risques ! » Pauvres pantins ! Tristes sires !
C’est indécent d’être conduits par vous ! La France doit être tombée bien
bas pour avoir besoin de vos services. Un jour certainement viendra où,
fatiguée de vous voir, de vous entendre, elle frémira avec rage, se hérissera
de haine et vous laissera tomber, livides et inertes, vous rendant au néant que
vous n’auriez jamais dû quitter. Ce sera justice !
3 décembre – Une tuile ! Faire un exercice d’alerte dans
les tranchées, ce n’est pas banal, alors rapport ! Paperasserie ! Que
de belles choses on fait en ton nom !
J’ai une contre-attaque à
exécuter demain avec 19 hommes : reprendre 200 mètres de tranchées –
quelle stupidité ! Qu’on nous reporte 15 km en arrière, et faisons des exercices profitables. Mais ici,
sous le nez des boches, allons donc ! Nous pouvons recevoir quelques
torpilles inutilement, quelques joujoux malheureux et c’est tout –
Résultats : Néant.
4 décembre – La fameuse
contre-attaque est faite. Pas d’incidents ni d’accidents : c’est le
principal.
5 décembre 1916 – Les boches torpillent à 1 contre 2. Leur
faisons- nous mal, je ne le sais, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’en 5
jours, voici le bilan : mort : néant – blessés : 1 soldat du
génie, 5 mitrailleurs, 3 hommes de la 17eme compagnie du 267. Pas si
mal, ils peuvent en être fiers. Et le secteur est calme ! Que serait-ce
s’il était agité !
8
décembre – La pluie tombe à verse.
9 décembre 1916 – Aujourd’hui le temps s’améliore et les boyaux
de même. La relève a lieu demain par la 23ème Compagnie. Les
officiers sont arrivés, pour reconnaître.
Déjà 14 jours passés
là ! Où allons-nous être dirigés, nous n’en savons rien. Nous sommes les
pantins, d’autres agitent et manœuvrent les ficelles. Qu’ils nous conduisent
vivement à la fin de la guerre. Nous le leur demandons instamment.
Novembre 1916 - Novembre 2016 - Il y a 100 ans...
Deux vues de la Butte de l'Edmond, aujourd'hui.
Photos : Fred
Avec son aimable autorisation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les auteurs se réservent le droit de supprimer tout commentaire qui ne soit pas en rapport avec le sujet.