samedi 27 février 2016

Savigny - 12 février au 8 mars 1916

Suit une période de mise au repos, à Savigny-sur-Ardres.


   12 février – C’est aujourd’hui jour de départ. Nous quittons le cantonnement pour Savigny-Sur-Ardres et Faverolles. Vingt-sept km à arpenter et toujours agacé.
 
   13 février – Nous voici à Savigny. Beau patelin. Mille cinq cents habitants environ. Tout l’État-major de l’armée est ici et à Jonchery. Dans cette dernière, se trouve le Général Franchet d’Esperey, commandant la 5ème Armée. Ici nous avons quatre généraux, un général d’Étapes, un de la D.I. [Division d’Infanterie], un du Service postal et le général Azibert, chef d’État-major d’Armée. Que d’autos et que d’embusqués !! On se sent renaître. Ce ne sont plus les tranchées boueuses, l’éclatement des 270 autrichiens ou 140 boches, ni le bruit assourdissant et énervant du moulin à poivre*. C’est la vie active, centre d’un quartier général, ronflements d’autos. Officiers et sous-officiers du dernier chic. Puis il y a des civils. On peut aller prendre son apéritif chaque jour, c’est Villiers ! C’est Crépy !

   17 février – Quel tintamarre ! Quelle poussière humide car il pleut à verse. On a annoncé la visite du Général Joffre. Les hommes ont repos. Il ne faut pas, à tout prix, que ces territoriaux, sortant des tranchées, soient vus sur les routes. Officiellement ils ne doivent pas y être mais officieusement ils doivent s’y trouver. Comprenez si vous pouvez !

   19 février – J’arrive de Serzy [Serzy-et-Prin], petit village sis à un kilomètre environ de Savigny. Je viens d’assister à une séance de conseil de guerre. Il y avait à juger un mécanicien, auteur présumé responsable d’un déraillement avec mort d’hommes. Cela fait une drôle d’impression. Quelques heures avant, il y avait deux boches à juger. Je n’ai pu les voir, cela cependant  m’eût fait bien plaisir.

   20 février – Aujourd’hui c’est dimanche, par conséquent repos. Le temps continue à être pluvieux. Il est trois heures, le soleil s’est montré. Je reste écrire.

   22 février – Cette nuit, quel tintamarre s’est passé devant notre ferme, trois heures durant, des autos. Qui va aux nouvelles ? Nul ne sait  où elles allaient. Mystère ! Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elles disparaissent vite. Il se murmure qu’il y a une attaque sur Verdun. Nul ne le sait. J’apprends cependant qu’un zeppelin et quelques avions ont été abattus. Tant mieux ! A quand la fin ? Ce matin une épaisse couche de neige dans la ferme mais elle a fondu presque immédiatement. Quelles routes ! Que de boue ! Ces autos parties ne sont pas encore rendues.

   23 février – La question des Zeppelins était vraie. un zeppelin abattu et sept avions boches. Bon boulot comme on dit, en terme militaire. Tant qu’à l’attaque sur Verdun, ç’a été chaud. Nous le verrons sur les communiqués de ce soir.

   24 février – Temps magnifique, passent des autos garnies de troupes, se dirigeant sur Verdun. Il y a du 252 de ligne, du 3ème Génie, que sais-je ? 800 autos par 24 heures doivent passer. Rien d’intéressant à part cela. Savigny est garni de gendarmes qui n’ont pas du tout l’air de rire. Ils devraient bien venir avec nous aux tranchées, peut-être seraient-ils moins brutes et plus intelligents.

   25 février – Journée encore de pluie angoissante pour nous, relativement à l’attaque sur Verdun. Nous allons deux fois par jour à 8 heures et à 5 heures voir les communiqués. Tout le monde s’y précipite à ces heures-là, capitaines, lieutenants, gendarmes, douaniers etc. Tous les uniformes y sont représentés. Les attaques boches continuent avec furie. Quelle tuerie effroyable ce doit être !

   27 février – Depuis ce matin, passent des troupes se dirigeant vers l’Est – artilleurs, chasseurs à pied, fantassins – tous jeunes. Le combat continue encore plus violent sur Verdun.

   28 février – J’expédie deux évacués. M. Perreau Emile et le père Lecan. Encore deux de moins à la Cie. Cela nous fait plus de la moitié sur les 253 partis le 5 août du Blanc. C’est à n’y pas croire.

   2 mars – Les tranchées approchent, le capitaine est parti reconnaître le secteur. « Y a pas bon ! » comme disent les marocains ! Il faut être philosophe.

   3 mars – Le départ pour les tranchées est retardé – la vue d’un bombardement proche. Pontavert, Chaudardes ont reçu des obus qui n’ont cependant pas fait trop de mal. La division ne veut pas de mouvements de troupes en ce moment. Nous en profitons ; cela fera toujours huit jours de plus à l’arrière.
  Je sors de prendre un verre de bière ; sur la route, je rencontre un lieutenant. D’où est-il ? D’où vient-il ? Je ne sais mais ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il ne sort pas des tranchées- « On salue la main dans sa poche chez vous ? » « Ah ! Je n’ai pas remarqué lui dis-je ? ». Encore un embusqué ? Il ferait beaucoup mieux à Verdun qu’ici. Enfin passons ! Ce sera pour plus tard. Laissons faire du temps. Un jour viendra où l’on pourra dire ce que l’on pense, tout haut, franchement ! Alors là nous y serons ! Que d’embusqués dans ce quartier général ici à Savigny – jeunes hommes imberbes, fils à papa.

   6 mars – Aujourd’hui il neige. La campagne est toute blanche et le soleil n’a pas l’air de vouloir sourire. Il est midi. Launay vient me trouver pour aller voir le parc d’aviation de Rosnay. Sitôt dit, sitôt fait, il est deux heures, nous partons. Temps plein de neige mais éclaircies de soleil. Nous arrivons sur le terrain d’aviation. Que d’appareils : biplans Voisin à simple et double hélices, Nieuport, Gaudron [Caudron], de chasse etc. Nous assistons à une quinzaine de départs et à autant d’arrivées. C’est très intéressant. Nous passons dans une grande ferme et de là, nous dominons un panorama magnifique. Un rayon de soleil l’éclaire d’une façon magistrale. Nous distinguons à la jumelle Reims avec sa cathédrale. Pauvre cathédrale, plus de vitraux ; trouée d’obus. Elle a cependant l’air d’être moins atteinte qu’on ne se l’imagine. Le fort de Brimont la domine, puis c’est Gueux, c’est Rosnay. Nous revenons par la neige et sommes tout blancs en arrivant. Bonne promenade que je ne regrette pas.

   7 mars – Il fait aujourd’hui soleil et demain nous partons pour les tranchées.
 

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