lundi 7 mars 2016

Beau-Marais - 15 mars au 6 avril 1916

  Du 15 mars au 6 avril 1916 : BEAU-MARAIS
 
(marquage des points)
(Zone dite : Beau-Marais)
 
   15 mars – Nous voici dans un nouveau secteur. Oh ! Pas meilleur que le premier, à deux kilomètres des boches, dans un lieu dit « Le bois de Beau Marais ». Des batteries sont autour de nous. Ce n’est pas le rêve. Les Marmites crachent et pour nous, pas d’abri, des bicoques en planches.

   17 mars – C’est encore le même canonnement, si intense que les oreilles en tintent. Encadrés de batteries, nous recevons tous les shrapnels  qu’on appelle des « copeaux ».

   18 mars – Journée terrible entre toutes. Véritablement, il n’y a plus à  tenir dans ce coin là. Beau Marais, tu auras mon souvenir. Sois sûr qu’il ne sera pas excellent. Il est 22 heures  et les boches canonnent toujours sur la Sapinière.

   19 mars – Les boches canonnent toujours. En prévision, j’ai découvert un abri ; il n’est peut-être pas très solide mais il vaut mieux que nos stations de pleine mer.

   20 mars – J’ai eu des nouvelles aujourd’hui des blessés, ils vont mieux. J’en suis enchanté.

   23 et 24 mars – Quel changement ! Quel tintamarre !

   25 et 26 mars. Hier nous avons été assez tranquilles. Ce bombardement n’a pas été si intense.

   26 mars – Aujourd’hui les boches se sont réveillés de sale humeur ; ils n’ont pas toujours bon caractère ces pistolets-là ! Quelle sale race ! Depuis dix heures, ce ne sont que boums continuels : quelquefois doubles, triples arrivées ! Je contemple cela de mon gourbi ! J’ai contemplé aujourd’hui une ferme : grande ferme appartenant forcément à un boche ! Dénommée la ferme du Temple ! Pauvre ferme ! Elle n’est que ruines. En 1915 (octobre), cette ferme a été prise sept fois à la baïonnette, Deux pignons démolis, des pans de murs, quelque chose d’informe, chaos indescriptible de poutres, fers tordus, baïonnettes cassées, havresacs déchiquetés, képis sans visière, bidons percés. Tout gît ça et là, sans ordre, teinté de sang, une odeur caractérisée de gaz asphyxiants et lacrymogènes.

- Ferme du Temple -
Dessin Albert Hénault - 31 mars 1916
Droit réservés
 
- Position de la Ferme du Temple  -
(annotations sur une vue Google Maps)
- Ferme du Temple, aujourd'hui -

(photos de l'auteur)

- en date du 19 avril 2016 -






(l'auteur)

   27 mars – Trouvant un moment, j’en ai profité pour croquer ma cagna. Le logement n’est pas vaste. Mais il est à l’abri d’un bombardement. Il ne faudrait pas qu’un 77 ou un 155 tombe dessus. Mais cependant c’est une sécurité. J’y suis avec l’adjudant changeur, j’y passe des heures entières. Clayonnée à l’intérieur, une planche rugueuse en guise de table, de grands clous comme porte-manteaux, nos lits servent de canapés, notre cagna n’a pas du tout de confort moderne. On ne peut y entrer debout car le plafond pourrait vous décorner. Mais telle qu’elle est, je m’en contente. Je m’y plais presque ! On est si peu exigeant en guerre.
 
 
   28 mars – Aujourd’hui voici la villa où nous mangeons, nous sous-off. matin et soir. C’est la villa du gui. Ce serait merveilleux si ce n’était si près des boches. De sécurité, nous n’en avons aucune, enfin, le hasard est un si grand maître !

   29 mars –Rien d’intéressant. C’est la vie bête, stupide, des tranchées, Renverser et retourner de la terre ! Pendant ce temps, à Paris, on festoie ! Je crois qu’on commence par abuser un peu de nous. Déjà le régiment compte 65 jours de tranchées de première ligne, et on ne parle pas du tout de le relever.

   30 mars – Il y avait ce matin de la glace mais maintenant le soleil brille. Les avions boches et français se promènent à loisir. Un aéro français est allé ce matin trois fois sur les lignes boches, il s’est fait canardé d’importance. Ils lui ont lancé près de 200 obus, sans heureusement l’atteindre. Nos 75 ont tiré sur un boche au-dessus de nous, un culot vient de tomber à 40 mètres de nous, le lieutenant Duval s’y est aussitôt précipité. Il n’a dû rien trouver car son retour n’a pas été du tout bruyant.

   1er avril – Temps magnifique, encore temps d’avions, aussi en profitent-ils pour voyager. Ils nous ont envoyé ce matin, ces sales boches, probablement en guise de poisson d’Avril, des fléchettes qui étaient marquées « invention française, fabrication allemande » Ironie des choses, ils ont tous les toupets ces gens là !

   2 avril – Je suis aujourd’hui de jour. C’est tout drôle de le devenir pour un jour, après l’avoir été si longtemps. Il fait encore aujourd’hui un temps magnifique. Les avions volent toujours. Quelques combats sans grands résultats. Aujourd’hui une partie de la Cie déménage pour aller occuper ses abris dans l’ouvrage 11.

   Ce fameux bois que nous habitons est tranquille, relativement, en ce moment ; les fleurettes apparaissent, les bourgeons grossissent, les oiseaux chantent. Quels contrastes ! La nature se moque pas mal du cataclysme humain ! Heureusement !

   3 avril 1916 – Combats d’aéros ininterrompus. Mitrailleuses et fléchettes, bombes etc. font rage. Les premiers soleils d’Avril s’y prêtent parfaitement.

   4 avril –Hier soir à 7 heures et demie, quel charivari sur le bois des Buttes. Le feu d’artifice était complet, fusées éclairantes, 75, 150, 120 courts, torpilles aériennes, bombes, mines. Tout faisant partie de la danse. On eut, pendant quarante-cinq minutes, l’impression d’une attaque, mais ceci passa ! La voix du canon se tut, les fusées s’éteignirent et tout rentra dans le silence.

   5 avril 1916 – Temps pluvieux. Tout comme hier. Cela rend tout sombre et mélancolique. On ne parle encore guère de notre retour en arrière, enfin, espérons ; car un grand nombre de nous sont fatigués, moralement, j’entends.

   6 avril – Il fait un temps doux, sombre. Donc nous pouvons faire la nique aux aéros. Je suis de travail toute la journée, des tranchées à faire, cela occupe et est utile.


(angles de prises de vues)

- depuis l'emplacement marqué d'une étoile jaune -
(photos de l'auteur)
- en date du 19 avril 2016 -





 
 
(angles de prises de vues - Pointe Nord-Est)
- depuis l'emplacement marqué d'une étoile jaune -
 (photo de l'auteur)
- en date du 19 avril 2016 -

- Vues de Beau-Marais, depuis la RD.19 en direction de Pontavert -
 (photo de l'auteur)
- en date du 19 avril 2016 -



 


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