18 avril – Encore vilain temps froid, la
pluie tombe à verse. Une attaque devait se déclencher, mais je crois que ce
n’est pas encore à point. J’ai déménagé et ne loge plus dans ma villa. J’habite
avec mes hommes ; l’abri est plus sûr et j’y suis très bien.
19 avril – Je commence un nouveau
recueil ; le deuxième n’était pas complet, mais je l’ai terminé, ayant
l’occasion de l’expédier.
20 avril – Il fait beau soleil. Trois aéros
boches se promènent d’une façon tout à fait « bénévole ». On a dû
certainement prévenir les nôtres de ne pas sortir car aucun aéro français
n’apparaît. Ils n’ont heureusement lancé ni bombes, ni fléchettes.
Nous vivons ici absolument comme les
habitants des cavernes. Toujours sous terre comme les taupes. Il y a tantôt
quarante et un jours que nous sommes ici et on ne [parle] pas beaucoup de la
relève. Il est vrai que notre Colonel veut avoir des décorations. Oh ! Si
nous pouvions dire ce que nous pensons tous. Mais il faut la boucler.
21 avril –Nous ne nous plaindrions pas si
nous allions un peu à l’arrière, et si les permissions reprenaient. Il paraît
qu’elles ont été supprimées à notre secteur parce que le 276ème a
flanché au Bois des Buttes, le 10 mars. Nous, 66ème Territorial,
nous avons pris la pilule et nous trinquons pour les autres. Voici la justice
de ce jour.
23 avril – Hier nous avons eu à déplorer la
mort de trois officiers du 96e et de leurs ordonnances. C’est une
véritable guigne. Ces six hommes étaient dans une cagna et un « 150 »
boche est entré par la porte et les a nettoyés. Combien en tombent-ils des
nôtres chaque jour dans ce bois de la Sapinière et des Buttes ? C’est effrayant
et ce, sans combats.
24 avril – Il est 16 heures du soir, ça
sent l’attaque de notre part. On en parle depuis tant de temps. Cette fois, du
coup, ça pourrait arriver.
Pour la journée du 25 avril, Albert Hénault relate plus en détails. Apparait dans ce récit, l'état d'esprit dans lequel il devait se trouver, le jour de l'offensive Nivelle.
25 avril – Lever à 5 heures. Dernier
travail aux abris de bombardement ; tout, à 7 heures, doit être prêt, sacs
faits. C’est l’attaque. Qu’allons-nous faire ? Mystère !
Il est 7 heures 45. Tout le monde est aux
abris. Le bombardement commence. Quel bruit, quel vacarme ! Torpilles, 75,
110, 150, 210, grenades, ne s’arrêtent pas, et ceci de 8 heures du matin à 10
heures du soir [22 heures]. 150.000 obus environ tombent sur les boches. Il
faut qu’ils aient la santé solide, ils sont bien terrés. Vous êtes abasourdis !
Quel énervement !
Quelles inquiétudes ! Quelles
transes ! Le sommeil, il n’y faut pas penser. Manger ? Vous n’avez
pas d’appétit ! Ecrire ? Il n’y faut pas songer : les idées vous
échappent ! Quels états d’âme ! Et nous ne sommes pas les acteurs de
ce drame ! Nous pouvons cependant le devenir. A 4 heures du soir [16
heures], malgré le bombardement, l’attaque se déclenche. Les fusils et les
mitrailleuses crépitent et les grenades font entendre leurs bruits sourds et
prolongés. Quelle tuerie !
Oh, civilisation !
Que tu es descendue bas ! Vingt siècles pour nous amener à cela !
C’est insensé et illogique, et cependant réel !
A 7 heures du soir [19 h.], un communiqué
nous arrive ! « Attaque à l’aile droite, prise du bois
franco-allemand, à l’aile gauche, prise d’une première tranchée au bois des
Buttes ». L’action continue, c’est un avantage. A 8 heures du soir [20
h.], quel tintamarre ; qu’y a-t-il ? On s’en doute ! Les obus
boches répondent aux nôtres sans répit. En effet une contre-attaque boche s’est
déclenchée !
A 8 heures du soir [20 h.]. Surprise !
On annonce une première vague de gaz sur nos premières lignes. Tous
alertés ! Il fait sombre. Tout le monde est à son poste. Quatre guetteurs
dans les tranchées, tous à l’abri. Je
sors le nez dehors avec deux de mes camarades, l’adjudant Hahn et Ellion. On aperçoit une
fusée rose ! Tout à coup, le tir se déclenche au bois des Buttes. C’est
l’assaut du centre Cinq. Quel feu d’artifice ! Jamais je n’en ai vu de si
intense !
10 heures du soir - ordre ! Ne
doublez pas vos sentinelles mais redoublez de surveillance.
11 heures du soir - l’attaque est
finie ! Les canons boches redoublent de violence – le ravitaillement de
Pontavert est surtout visé – Humanité ! Tu es un vain mot !
- coupure de presse, inséré dans le carnet -
(cliquez sur la photo pour l’agrandir)
26 avril - 23 Heures. Au nord de l’Aisne
après une préparation d’artillerie, nos troupes ont enlevé ce matin un petit
bois au Sud du Bois des Buttes, région de la Ville-au-Bois.
[Cette mention est manuscrite et encadrée au crayon, à la suite de la coupure
de presse].
28 avril – Aujourd’hui un calme relatif est
revenu. Les boches tirent plus que nous. Ils font des tirs de barrage sur le
bois franco-allemand pour empêcher nos tranchées de s’organiser. La tranchée
d’avant la Sapinière, prise par nous, n’a pu être conservée. Ils sont encore
forts ces sales boches !
1er mai – De gros obus pleuvent
encore aujourd’hui. Ils arrosent un peu Pontavert.
La nuit dernière, ils ont tiré sur notre ravitaillement.
Un conducteur, blessé. Deux chevaux, tués.
La compagnie travaille toujours à ses
abris. Oh ! vivement qu’on soit relevé, depuis 94 jours que nous sommes en
ligne, il serait temps d’aller respirer un peu l’air d’arrière !
Détail intéressant sur la réutilisation de l'armement pris à l'ennemi.
- Mitrailleuse boche, ouvrage 10 bis -
(dessin Albert Hénault - 2 mai 1916)
2 mai 1916 – Temps relativement calme – les
boches ont été assez gentils ! Je suis allé voir une mitrailleuse boche.
Mitrailleuse prise à Verdun et dressée maintenant au pied de la butte d’Edmond.
C’est tout à fait cocasse de se saisir d’engins ennemis et de s’en servir pour
les moucher. Cette mitrailleuse est approvisionnée par 20 boites de 100 bandes
de cartouches de 250 chacune.
Ne trouvez- vous pas qu’il y a un certain
plaisir à se servir de ces engins – le tube -A- est plein d’eau car le canon
s’échauffe vivement, -B- c’est le
viseur (les boches l’ont enlevé avant de ficher le camp). Un viseur de St
Etienne* adapté le remplace. C’est un engin très encombrant, mais quel mal elles
nous font ces mitrailleuses-là ! Elles ont l’avantage d’économiser un
homme pour servir de chargeur.
3 mai 1916 – Temps aujourd’hui calme !
4 mai 1916 – J’ai aujourd’hui collé un
timbre du poilu. Voici celui de notre régiment. Il est simple mais pas mal du
tout.
Les obus boches pleuvent, moins drus. Ils
sont plus calmes en ce moment. Demain, nous partons à cinq avec le lieutenant
commandant la Cie pour aller occuper des tranchées (Bois Clausade).
Ce n’est pas le rêve. Enfin, il faut bien s’y conformer. Les travaux d’abri
étant finis, nous allons ailleurs, c’est bien notre veine !
J’avais espéré aller à l’arrière, mais
maintenant cet espoir est envolé !
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