dimanche 20 mars 2016

Beau-Marais - 17 avril au 4 mai 1916.

   Du 17 avril au 4 mai 1916 : BEAU-MARAIS
 
 

  18 avril – Encore vilain temps froid, la pluie tombe à verse. Une attaque devait se déclencher, mais je crois que ce n’est pas encore à point. J’ai déménagé et ne loge plus dans ma villa. J’habite avec mes hommes ; l’abri est plus sûr et j’y suis très bien.

 
   19 avril – Je commence un nouveau recueil ; le deuxième n’était pas complet, mais je l’ai terminé, ayant l’occasion de l’expédier.

 
   20 avril – Il fait beau soleil. Trois aéros boches se promènent d’une façon tout à fait « bénévole ». On a dû certainement prévenir les nôtres de ne pas sortir car aucun aéro français n’apparaît. Ils n’ont heureusement lancé ni bombes, ni fléchettes.
   Nous vivons ici absolument comme les habitants des cavernes. Toujours sous terre comme les taupes. Il y a tantôt quarante et un jours que nous sommes ici et on ne [parle] pas beaucoup de la relève. Il est vrai que notre Colonel veut avoir des décorations. Oh ! Si nous pouvions dire ce que nous pensons tous. Mais il faut la boucler.

 
   21 avril –Nous ne nous plaindrions pas si nous allions un peu à l’arrière, et si les permissions reprenaient. Il paraît qu’elles ont été supprimées à notre secteur parce que le 276ème a flanché au Bois des Buttes, le 10 mars. Nous, 66ème Territorial, nous avons pris la pilule et nous trinquons pour les autres. Voici la justice de ce jour.
   23 avril – Hier nous avons eu à déplorer la mort de trois officiers du 96e et de leurs ordonnances. C’est une véritable guigne. Ces six hommes étaient dans une cagna et un « 150 » boche est entré par la porte et les a nettoyés. Combien en tombent-ils des nôtres chaque jour dans ce bois de la Sapinière et des Buttes ? C’est effrayant et ce, sans combats.
 

   24 avril – Il est 16 heures du soir, ça sent l’attaque de notre part. On en parle depuis tant de temps. Cette fois, du coup, ça pourrait arriver.

 
  Pour la journée du 25 avril, Albert Hénault relate plus en détails. Apparait dans ce récit, l'état d'esprit dans lequel il devait se trouver, le jour de l'offensive Nivelle.

   25 avril – Lever à 5 heures. Dernier travail aux abris de bombardement ; tout, à 7 heures, doit être prêt, sacs faits. C’est l’attaque. Qu’allons-nous faire ? Mystère !
   Il est 7 heures 45. Tout le monde est aux abris. Le bombardement commence. Quel bruit, quel vacarme ! Torpilles, 75, 110, 150, 210, grenades, ne s’arrêtent pas, et ceci de 8 heures du matin à 10 heures du soir [22 heures]. 150.000 obus environ tombent sur les boches. Il faut qu’ils aient la santé solide, ils sont bien terrés. Vous êtes abasourdis ! Quel énervement !
   Quelles inquiétudes ! Quelles transes ! Le sommeil, il n’y faut pas penser. Manger ? Vous n’avez pas d’appétit ! Ecrire ? Il n’y faut pas songer : les idées vous échappent ! Quels états d’âme ! Et nous ne sommes pas les acteurs de ce drame ! Nous pouvons cependant le devenir. A 4 heures du soir [16 heures], malgré le bombardement, l’attaque se déclenche. Les fusils et les mitrailleuses crépitent et les grenades font entendre leurs bruits sourds et prolongés. Quelle tuerie !
   Oh, civilisation ! Que tu es descendue bas ! Vingt siècles pour nous amener à cela ! C’est insensé et illogique, et cependant réel !
   A 7 heures du soir [19 h.], un communiqué nous arrive ! « Attaque à l’aile droite, prise du bois franco-allemand, à l’aile gauche, prise d’une première tranchée au bois des Buttes ». L’action continue, c’est un avantage. A 8 heures du soir [20 h.], quel tintamarre ; qu’y a-t-il ? On s’en doute ! Les obus boches répondent aux nôtres sans répit. En effet une contre-attaque boche s’est déclenchée !
   A 8 heures du soir [20 h.]. Surprise ! On annonce une première vague de gaz sur nos premières lignes. Tous alertés ! Il fait sombre. Tout le monde est à son poste. Quatre guetteurs dans les tranchées,  tous à l’abri. Je sors le nez dehors avec deux de mes camarades, l’adjudant Hahn et Ellion. On aperçoit une fusée rose ! Tout à coup, le tir se déclenche au bois des Buttes. C’est l’assaut du centre Cinq. Quel feu d’artifice ! Jamais je n’en ai vu de si intense !
   10 heures du soir - ordre ! Ne doublez pas vos sentinelles mais redoublez de surveillance.
  11 heures du soir - l’attaque est finie ! Les canons boches redoublent de violence – le ravitaillement de Pontavert est surtout visé – Humanité ! Tu es un vain mot !

- coupure de presse, inséré dans le carnet -
(cliquez sur la photo pour l’agrandir)

   26 avril - 23 Heures. Au nord de l’Aisne après une préparation d’artillerie, nos troupes ont enlevé ce matin un petit bois au Sud du Bois des Buttes, région de la Ville-au-Bois.
 
[Cette mention est manuscrite et encadrée au crayon, à la suite de la coupure de presse].

   28 avril – Aujourd’hui un calme relatif est revenu. Les boches tirent plus que nous. Ils font des tirs de barrage sur le bois franco-allemand pour empêcher nos tranchées de s’organiser. La tranchée d’avant la Sapinière, prise par nous, n’a pu être conservée. Ils sont encore forts ces sales boches !

 
   1er mai – De gros obus pleuvent encore aujourd’hui. Ils arrosent un peu Pontavert. La nuit dernière, ils ont tiré sur notre ravitaillement.
   Un conducteur, blessé. Deux chevaux, tués.
   La compagnie travaille toujours à ses abris. Oh ! vivement qu’on soit relevé, depuis 94 jours que nous sommes en ligne, il serait temps d’aller respirer un peu l’air d’arrière !

Détail intéressant sur la réutilisation de l'armement pris à l'ennemi.
 
- Mitrailleuse boche, ouvrage 10 bis -
(dessin Albert Hénault - 2 mai 1916)
 
   2 mai 1916 – Temps relativement calme – les boches ont été assez gentils ! Je suis allé voir une mitrailleuse boche. Mitrailleuse prise à Verdun et dressée maintenant au pied de la butte d’Edmond. C’est tout à fait cocasse de se saisir d’engins ennemis et de s’en servir pour les moucher. Cette mitrailleuse est approvisionnée par 20 boites de 100 bandes de cartouches de 250 chacune.
   Ne trouvez- vous pas qu’il y a un certain plaisir à se servir de ces engins – le tube -A- est plein d’eau car le canon s’échauffe vivement,  -B- c’est le viseur (les boches l’ont enlevé avant de ficher le camp). Un viseur de St Etienne* adapté le remplace. C’est un engin très encombrant, mais quel mal elles nous font ces mitrailleuses-là ! Elles ont l’avantage d’économiser un homme pour servir de chargeur.

 
   3 mai 1916 – Temps aujourd’hui calme !

 
   4 mai 1916 – J’ai aujourd’hui collé un timbre du poilu. Voici celui de notre régiment. Il est simple mais pas mal du tout.
   Les obus boches pleuvent, moins drus. Ils sont plus calmes en ce moment. Demain, nous partons à cinq avec le lieutenant commandant la Cie pour aller occuper des tranchées (Bois Clausade). Ce n’est pas le rêve. Enfin, il faut bien s’y conformer. Les travaux d’abri étant finis, nous allons ailleurs, c’est bien notre veine !
   J’avais espéré aller à l’arrière, mais maintenant cet espoir est envolé !
 
 
 
 

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