mercredi 9 novembre 2016

Butte de l'Edmond - du 11 novembre au 10 décembre 1916.

   Du 11 novembre au 10 décembre 1916 :
   De nouveau à la Butte de l'Edmond.

   Albert Hénault est à la 18ème Compagnie. Il retrouve les tranchées.

   Samedi 11 nov. – Quels préparatifs, cantines, colis, paquets ; ça n’en finit plus, il est onze heures. Nous n’avons aucun ordre du D.D. [Dépôt Divisionnaire], le colonel du 267 se demande déjà pourquoi nous ne sommes pas déjà arrivés. C’est bien l’armée. Enfin !

   Nous voici à 2 heures à Romain. 4 heures pour le ravitaillement. Nous rendons visite au Colonel à 7 heures du soir. Réception agréable peut-être, et nous voici arpentant nos boyaux pour notre nouvelle affectation.



   Santerre affecté à la 17e, moi à la 18e, Bonafoux à la 20e et Girier à l’État-major du 6e Bataillon. A 8 heures, je suis à la butte de l’Edmond, à l’endroit même que j’ai quitté le 7 juillet partant pour Père. Bizarrerie du sort !



   Je dîne avec le Commandant qui m’invite et est très gentil, puis re-départ pour ma nouvelle compagnie.


   Dimanche 12 novembre – Lever à 8 heures. Je n’ai pas eu chaud aux pieds, aussi me suis-je levé assez souvent. J’ai fait déjà tout le tour dans les boyaux, pour connaître le secteur. Ce n’est plus le dépôt, enfin, c’est la guerre.

   Lundi 13 novembre – Une nuit de passée, quart de minuit à 4 heures, nous avons reçu ordre de tirer beaucoup.

   Ce que nous avons fait. Les boches ont répondu, du tac au tac : un coup de fusil, réponse de leur part : au moins deux coups de feu.


Aucun écrit du 14 et le 30 novembre (semble avoir eu une permission).


   1er décembre 1916 – Quelques lacunes vont exister, forcément – le cafard étant tellement fort qu’il faut absolument tout le courage, toute l’énergie d’un poilu à 3 brisques* pour résister. A présent que les nerfs sont un peu d’aplomb, que les souvenirs de permissions sont moins vifs, je vais continuer ces mémoires.

 
* NOTA : 3 brisques = 3 chevrons, soit deux ans "Aux Armées", c'est-à-dire au front, la première brisque compte pour un an, les suivantes comptent pour six mois.


   Me voici, maintenant très peu loin de l’endroit où le brave capitaine de Bizemont est tombé à mes côtés, chaque jour, j’y passe. Je revis en mémoire ces courts instants, logiques entre tous. J’ai refait l’autre jour le voyage de la Sapinière à Pontavert. Comme c’est changé ! Quel calme en comparaison du 10 mars. Les haies de bruyère, des gabions, des routes, le petit tortillard réparé ! Ce n’est plus le Pontavert du temps de guerre. De braves territoriaux s’y baladent ; tout juste s’il n’y a pas de civils !
 
   Aujourd’hui quelque marmitage. Nous avons voulu faire des tirs de repérage. Les boches nous ont cognés dessus, sans mal heureusement. Un peu plus, c’étaient nous-mêmes qui nous suicidions. Les 75, trop courts, ont arrosé mon petit poste. Heureusement que les sentinelles n’étaient pas placées.

 

   2 décembre – Un exercice d’alerte est dans l’air. Préparation d’un coup de main ; quelle fumisterie ! On dirait qu’il y a trop de fantassins en ligne ! Il est vrai que les officiers supérieurs ont besoin de médailles ou d’honneurs, il faut bien que les poilus les leur gagnent. C’est leur raison d’être à eux. Pourquoi serait-on attaché à un bataillon ou à une brigade si nous n’avions pas d’ordres par ailleurs à donner. Les poilus iront visiter les boches et ces messieurs seront au téléphone ! « allo ! allo ! Le coup de main, réussi ? Pas de prisonniers boches ? Tant pis ! 2 blessés, 1 tué, dame, c’est la guerre ! Ce sont les risques ! » Pauvres pantins ! Tristes sires ! C’est indécent d’être conduits par vous ! La France doit être tombée bien bas pour avoir besoin de vos services. Un jour certainement viendra où, fatiguée de vous voir, de vous entendre, elle frémira avec rage, se hérissera de haine et vous laissera tomber, livides et inertes, vous rendant au néant que vous n’auriez jamais dû quitter. Ce sera justice !

   3 décembre – Une tuile ! Faire un exercice d’alerte dans les tranchées, ce n’est pas banal, alors rapport ! Paperasserie ! Que de belles choses on fait en ton nom !
   J’ai une contre-attaque à exécuter demain avec 19 hommes : reprendre 200 mètres de tranchées – quelle stupidité ! Qu’on nous reporte 15 km en arrière, et  faisons des exercices profitables. Mais ici, sous le nez des boches, allons donc ! Nous pouvons recevoir quelques torpilles inutilement, quelques joujoux malheureux et c’est tout – Résultats : Néant.

   4 décembre – La fameuse contre-attaque est faite. Pas d’incidents ni d’accidents : c’est le principal.

   5 décembre 1916 – Les boches torpillent à 1 contre 2. Leur faisons- nous mal, je ne le sais, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’en 5 jours, voici le bilan : mort : néant – blessés : 1 soldat du génie, 5 mitrailleurs, 3 hommes de la 17eme compagnie du 267. Pas si mal, ils peuvent en être fiers. Et le secteur est calme ! Que serait-ce s’il était agité !

   8 décembre – La pluie tombe à verse.

   9 décembre 1916 – Aujourd’hui le temps s’améliore et les boyaux de même. La relève a lieu demain par la 23ème Compagnie. Les officiers sont arrivés, pour reconnaître.
   Déjà 14 jours  passés là ! Où allons-nous être dirigés, nous n’en savons rien. Nous sommes les pantins, d’autres agitent et manœuvrent les ficelles. Qu’ils nous conduisent vivement à la fin de la guerre. Nous le leur demandons instamment.


Novembre 1916 - Novembre 2016 - Il y a 100 ans...
Deux vues de la Butte de l'Edmond, aujourd'hui.
Photos : Fred
Avec son aimable autorisation.