lundi 27 mars 2017

Moscou, face à la côte 108 - du 25 mars au 8 avril 1917.

Du 25 mars au 8 avril 1917 :

Face à la côte 108.



    25 mars – C’est aujourd’hui jour de relève. Remue-ménage habituel, cantines, sacs, musettes, tout se range pour regagner les voitures. Il fait un soleil splendide, déjà 5 avions survolent Guyencourt. Nos canons contre avions les chassent.
   9 heures du soir. Quelle longue étape ! Ayant quitté Guyencourt à 7 heures 15 du soir, nous nous dirigeons sur Cormicy. A 2 km de cette localité, nous entendons une rafale d’obus boches. La route est pleine d’artilleurs, nous ne pouvons avancer et pour ce, attendons. Nouvelle rafale : 2 artilleurs de tués et 4 blessés. C’est la guerre. Tapis dans le fossé de la route, nous attendons. Après une demi-heure, nous continuons la route sans encombre. Nous parcourons un long boyau de 3 Km de long sans s’arrêter et arrivons exténués à Moscou. Là, nous remplaçons le 151e (6e Cie) qui, heureux de quitter ces coins peu hospitaliers, démarre en vitesse. Nous craignons une attaque aux gaz vers notre droite. Le vilain temps de la nuit, l’eau et le vent contraire nous font heureusement échapper à cette émission de gaz.
   26 mars – Nous voici à Moscou. Face à la côte 108. Quel chaos ! Nos tranchées sont creusées sur un mamelon artificiel fait par nous, c’est la guerre de mines dans toute sa splendeur. Cette énorme butte de terre égalant la côte 108 est totalement minée. Ce ne sont que galeries souterraines. Nous voici ici à l’Est de Berry-au-Bac, environ 5 km. Nous sommes adossés au canal de l’Oise, à l’Aisne desséché et près d’une petite rivière, l’Ouavre. Sur ce canal desséché [25 ou 29]péniches sont là, gisantes et éventrées, pleines de charbon. Trois cents tonnes par péniche. C’est une veine par cette crise du charbon. Devant nos lignes, très peu de fils de fer. Ce ne sont que des excavations et des entonnoirs. Comptez-leur 50 mètres de diamètre et 40 mètres de profondeur. Nous occupons une lèvre, les boches l’autre. J’ai parcouru déjà un certain nombre de secteurs mais j’avouerai que je n’ai jamais vu pareille désolation ; un tel enchevêtrement de choses étranges et diverses ; piquets de fer tordus, tôles déchiquetées, sacs éventrés etc…
    Autre chose aussi, toute nouvelle, c’est que nous habitons des sapes faites par les boches. Ce n’est pas le confort moderne mais figurez-vous de véritables cages de bois (mandrins de 0,12 d’épaisseur) placés à 6 et 8 mètres sous terre. Ces sapes peu confortables sont d’une solidité à toute épreuve. On voit que là aussi, les boches ont fait « leur Kolossal ». Nous en profitons.


   28 mars – Les boches bombardent continuellement Sapigneul qui est à notre droite. Le 4ème Bataillon a encore des blessés. Le secteur n’est pas du tout un secteur de tout repos, je préférais de beaucoup Beaumarais ou Soissons.


   30 mars 1917 – Les boches continuent à nous arroser mais moins violemment qu’hier. Toujours pluie, vent et grêle. Un obus malheureux tue 2 crapouilloteurs* et en blesse 3 autres, près du canal (droite de ma section).
   3 heures du soir. Nous déclenchons un tir de barrage sur les lignes boches face à Sapigneul. Ces derniers ne trouvent pas la fête à leur goût car ils nous répondent avec énergie et vigueur. C’est nous, 1ère Section, qui encaissons. Enfin après une heure, cela cesse, dégâts matériels insignifiants.
   10 heures du soir. Les canons boches tirent sur notre ravitaillement. Nos caissons d’artillerie reçoivent quelques salves qui leur causent de gros dégâts. Un obus malheureux tue 8 chevaux et blesse un conducteur.
   Mercredi 4 avril – 2 heures 25. Bombardement violent sur Sapigneul. Cinq cents mètres à l’est de notre secteur. Ses ruines ne se voient plus dans la fumée ; gros obus et torpilles font rage. A trois heures, les boches allongent leur tir, c’est nous qui prenons. Les tranchées occupées par ma section sont arrosées d’une façon toute spéciale ainsi que le canal et la sucrerie de Moscou. On ne se voit plus dans la fumée ; nos canons répondent à peine.
   4 heures soir [16 h.]. Le bombardement devient encore plus violent, de grosses torpilles 240 font trembler nos abris, une de ces dernières tombe sur l’abri 207 où se trouvent le sergent Lecollier, M. Aury, Duscatel et quelques autres. Deux mètres cubes de terre volent en l’air, aucun blessé ! Chance inespérée. Le boyau du petit poste 7 est aussi éboulé. J’ai fait monter mes sentinelles du canal de 10 mètres au Nord. C’est un bombardement infernal. Tout voltige, arbres, éclats de bois, de fer etc. 4 heures 15 nouvel obus sur même abri. 4 fusils de brisés, un dépôt de grenades placé à proximité saute avec un bruit formidable.
   7 heures. Nous ne nous voyons plus dans la fumée, on ne peut distinguer que l’éclair des obus qui éclatent, et les fusées signaux rouges, vertes, blanches lancées sans interruption. On entend un crépitement de fusillade ; éclat de grenades et le tic-tac des mitrailleuses.
    7 heures 20 du soir – accalmie du canon.
   7 heures 30 – redoublement des obus. Une contre-attaque de notre part se déclenche. Le 6ème Bataillon du 267e donne.
   8 heures soir. Un coureur de la Compagnie voisine 15e arrive à mon P.C. tout essoufflé :  « les boches ont débordé la droite du 4ème Bataillon et se dirigent sur Cormicy ». Instant de stupeur. S’il est vrai, nous sommes coupés. Enfin à 10 heures, nous apprenons que les boches ont en effet débordé ! Sont entrés dans nos lignes mais ensuite sont retournés dans les leurs, avec vitesse, nous emmenant des prisonniers.


   5 avril – 2 heures du matin. Après un calme relatif, tout d’un coup, Sapigneul, La Neuville, Le Godat s’enflamment, nuages de fumée, signaux à étoiles rouges, vertes, sillonnent les nues ; bruit plus infernal encore. En face de ma section à 200 mètres en avant, un gros nuage mordoré s’avance ; de ce nuage sortent sifflements de balles et tic-tac de mitrailleuses. Plus à douter, c’est probablement une attaque boche de notre côté ! Je lance une fusée verte et déclenche un tir de barrage d’artillerie, le calme de mon côté renaît. A 2 heures 30, tout est apaisé. Nous avons fait une nouvelle contre-attaque qui nous a fait récupérer une partie du terrain perdu, c’est le 162ème qui se paie cette opération.
   5 heures du matin, le bombardement des lignes boches par nos canons commence, il ne s’arrêtera pas de la journée. Les nouvelles arrivent, elles ne sont pas fameuses. Nous avons eu non pas à faire face à un coup de main, mais à une véritable attaque ennemie, déclenchée sur un front de 2 km 500 de Sapigneul à la ferme du Godat (voir communiqué). Nos troupes dans des boyaux bombardés et mitraillés n’ont pu tenir. Après renseignements, nous avons la 23ème Compagnie du 267e avec lieutenants Brisset [disparu le 4 avril 1917], Maigret et Spigental, la 14e Cie avec le lieutenant Artaud prisonnier, Mitter disparu, un peloton de la 13e avec le capitaine Sens blessé ! Le chef de Bataillon Roullet est blessé à la tête et son capitaine adjudant major Froment disparu. Vingt-deux canons de 45 et de 58 tombent aux mains des boches ainsi que 150 mètres de tranchées face au front du bastion de Sapigneul.


   5 avril - à midi. Le bombardement de part et d’autre devient plus intense. Nous devons rester serrés dans nos abris. A 6 heures du soir, fumée, éclairs, fusées redoublent de vigueur. Les mitrailleuses crépitent ; à 7 heures, je lance une fusée à signaux pour demander l’artillerie. Les coups de fusils sont plus nourris. C’est une contre-attaque française faite par le 262 qui échoue. A 8 heures et demie, on entend des cris sur le champ de bataille, ensuite tout se calme ; de minute en minute, un obus fait entendre son sifflement caractéristique.


   6 avril – 2 heures du matin. Debout. Une autre contre-attaque française se déclenche à l’est de Sapigneul. Le 4e Zouaves et des Cies du 6ème Bataillon du 267e y prennent part. On entend des coups de mitrailleuses et des éclatements de grenades.


   Quelques tranchées sont reprises par le 2e Zouaves et la 21ème Compagnie du 267 ; le capitaine Bourguignon y est tué [à noter qu’il ne figure par sur MDH-MPF].


   A 5 heures du matin, je vais m’étendre épuisé sur mon lit, tombant de sommeil. Le bombardement systématique de la veille recommence par nous sur les tranchées au nord de Sapigneul. Ce que les boches prennent, c’est inimaginable, nous avons sur eux la maîtrise de l’artillerie. Douze avions survolent nos lignes. Un avion boche est abattu par nous direction de Reims, un des nôtres est abattu dans nos lignes près de Cormicy. La journée se passe sans trop de casse. Le soir au dîner, un mot du commandant nous apprend qu’une contre-attaque française va avoir lieu dans la nuit (Confidentiel). Voici encore une nuit qui se prépare à être agitée. 9 heures soir. Alerte dans les sections de première ligne. Le bombardement n’arrête pas. On veut faire cette contre-attaque par surprise.


   7 avril – A deux heures du matin, déclenchement d’une fusillade sur toute la ligne. Mitrailleuses et fusils donnent face à Sapigneul. Vis-à-vis le front de la Cie, les nuages de différentes couleurs ne se produisent pas selon leur habitude de deux jours. Je lance des fusées éclairantes pour voir clair devant les lignes. Ce n’est que fumée. Les boches ne doivent pas être très sûrs d’eux car ils lancent à chaque instant des fusées vertes, demandant le secours de leur artillerie. Quarante minutes après, tout est calme ; la contre-attaque a-t-elle réussi ? Mystère !
   3 heures 50. Un grondement d’artillerie se fait entendre sur le bois des Buttes ; une attaque boche probablement. A 4 heures, d’un seul coup, fusillade nourrie, mitrailleuses, grenades etc. C’est un vacarme infernal. Je vais à mon poste d’observation, malgré la fumée, on se rend compte que les boches ne viendront pas de ce côté : ils effectuent entre nous et eux un tir de barrage très violent, qui cause peu de mal aux premières lignes. A 4 heures 30 le calme renaît ; quelle est la cause de cette recrudescence de feu, on l’ignore.
   6 heures. Quatre fusées vertes partent dans la direction de la Merville. Qui est-ce ? J’aperçois à l’est de Sapigneul, à 100 mètres, du sommet de la côte 100 à flanc de coteau, l’éclatement de quelques grenades. L’alignement de ces éclatements marque l’emplacement d’un boyau et font envisager un nettoyage des tranchées. Des fusées blanches sont lancées par nous ; on demande le secours de notre artillerie pour progresser. Ce qui a lieu. A 6 heures 45, les boches à leur tour demandent un tir de barrage de leur côté ! A 7 heures 15, tout rentre dans le silence. Je vais m’étendre sur mon lit, la nuit a été plutôt pénible et dure. A 9 heures, des renseignements nous arrivent, le corps franc du 267 a participé à la contre-attaque de deux heures. Les boches, sur leur garde, les ont devancés dans leur progression ; d’où échec. Le lieutenant Legrand, disparu, Funereau blessé (balle au poumon) Even blessé, sergent Guarrigues, blessé à coups de crosse au visage. Triste réussite.
   J’apprends aussi qu’il ne reste que trente hommes de la 21ème Cie victimes des gaz enflammés de l’ennemi.
   11 heures. Tir de crapouillots sur les tranchées boches.
   2 heures du soir [14 h.]. Tir de [recalage] par notre artillerie sur les lignes ennemies, qui ne répondent pas.
   7 heures soir [19 h.]. Les boches, craignant une contre-attaque de notre part, font jusqu’à 7 heures 30 un tir de barrage nourri sur nos lignes. Deux éboulements ont lieu dans ma tranchée ; pas de blessés ! Après avoir craint une action d’infanterie pour la nuit, cette dernière se passe heureusement sans cela.





















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les auteurs se réservent le droit de supprimer tout commentaire qui ne soit pas en rapport avec le sujet.