Du 7 au 21 janvier 1917 :
De nouveau aux tranchées.
Albert Hénault séjourne à la tranchée Verdun, puis Broussilov.
Carte de l'auteur (1/14.000)
8 janvier 1917 – C’est fait ; nous voici installés dans notre
nouvelle demeure. J’ai encore comme habitation un métro, on n’y voit pas clair
en plein jour, toujours la lumière, quelle vie de taupe. Je suis avec ma
section en première ligne, le secteur à garder est excessivement vaste, aussi
dois-je emprunter des hommes à la section Barre.
La flotte tombe à verse. Pour un premier jour, c’est
assez réussi.
Les boches sont à 150, 80, 40 mètres de nous, selon les
différents endroits. D’un créneau en fer, nous avons vue sur un de leurs
passages. Quatorze boches, têtes carrées à calot plat, ont été signalés hier.
Aujourd’hui j’ai fait le guet pendant près d’une heure, rien n’est venu. Je
voudrais cependant jouir de l’impression !
11 heures 15 - Mince, j’ai vu trois boches. Trois boches en
liberté, en calot plat et capote bleue. Ils ont des sales bobines et ne se
préoccupent guère de nous ; ils vont et viennent sans armes ; ça m’a
eu l’air de bons vieux papas. Ce sont des Wurtembergeois. Ils montaient si vite
le boyau que le dernier est tombé à quatre pattes, il s’est ramassé en l’espace
d’un éclair. Il se sentait dans la zone dangereuse. Aujourd’hui des 77* boches
ont arrosé le centre 6 et Denain. Nous avons été
épargnés. Nous ne tenons aucunement à avoir l’honneur de recevoir leur
camelote.
10 janvier – Vilain temps froid et humide. Aujourd’hui j’ai vu
une caravane : des petits ânes d’Égypte qui sont sur le front pour notre
approvisionnement en vivres. Ils sont tout petits - grosseur des veaux moyens.
Ils ont un bât portant deux paniers, un de chaque côté, sur leur dos. Un gros
mène la bande, et un tout petit la ferme. Ce petit est si chétif, si maigrelet
et cependant très hargneux. Son conducteur l’a surnommé le
« Kaiser ». C’est tout à fait étrange de voir ces petits bourriquots
passer dans les boyaux et les tranchées, faire le tour des parapets et des
pare-éclats, tout comme un poilu. Les uns portent viandes et légumes, les
autres des planches, du fil de fer, des ribards*, que sais-je ! Ils nous
sont d’une utilité incontestable mais j’ai bien peur que le froid de nos pays
nous prive de ces serviteurs à longues oreilles. Ce serait dommage.
13 janvier 1917 – Changement de décors. Tout est blanc,
parapets, tranchées, boyaux… sont recouverts de neige. Avec cela le temps en
est changé. Sales mois d’hiver, passez vite. Que les longues journées d’été se
montrent et nous amènent la fin.
16 janvier – Il neige toujours. Le camarade Barre part en permission,
heureux, cela se conçoit [blessé le 16 avril 1917 – il
existe un Marie-Joseph, sous-lieut. Au
49 R.I., MPF le 11 juin 1918.] A 9 heures, notre 75 tire en avant de nos
lignes à 45 mètres du saillant de Verdun. Trois obus tombent, deux dans les
lignes boches et un trop court, au beau milieu de notre petit poste. Le caporal
Ayot l’échappe
belle, il s’en tire avec quelques égratignures. Ce sont les effets inévitables,
très rares cependant, de notre 75.
17 janvier – Quelle ondée de neige, des gros flocons en rafales
s’abattent sur nos tranchées. Sentinelles, guetteurs, officiers de quart, tout
est blanc. Nos innombrables réseaux de fil de fer barbelés sont vêtus d’un
manteau d’hermine et sont d’un effet vraiment féerique.
18 janvier – Nos « crapouilloteurs » de la
Sapinière nous préviennent que, voulant régler leurs tirs, ils vont être
obligés de lancer des torpilles sur le nez du boche. Nous prenons nos
précautions ; à 9 heures 30, vingt torpilles s’écrasent chez les boches.
Ces derniers nous répondent par quinze obus de 77 et de 105. La joute se
termine à midi et tout rentre dans le calme.
19 janvier – Une grosse nouvelle. Nous préparons une attaque
dans notre secteur. Vingt-cinq kilomètres de front, Vauchère,
Craonne, Bois des Buttes et cote 108. Nous faisons partie des vagues de
la cote 108 ; pour quand ? Nul ne le sait. Les coloniaux sont à
Fismes. Une autre attaque se prépare du côté de Soissons.
A noter : A la date du 19 janvier, Albert Hénault fait déjà allusion, par écrit et dans ses carnets, de l'offensive Nivelle, telle qu'elle sera lancée le 16 avril 1917 (Vauchère, Craonne, Bois des Buttes et la côte 108 (Berry-au-bac).